Howard Moody 3
Howard Moody – Le journal du compositeur
#3 La réception du livret
Depuis toujours, la confiance entre un compositeur et un librettiste n’est pas facile à établir. Le procédé exige une communication intense et la compréhension du processus de création de l’autre. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai souvent écrit le livret moi-même. Cependant, au cours de l’écriture conjointe de trois pièces, Anna et moi avons développé un flux de communication direct et une profonde compréhension du style de l’autre. Nous pouvons donc écrire en tenant compte des points forts de chacun. Nous parvenons également à accélérer le rythme de travail et à respecter des délais courts pour des commandes telles que Solar.
Je constate toujours que je ne peux pas commencer à composer la musique tant que le livret n’est pas terminé. Cela me donne un aperçu de l’ensemble de la pièce à partir duquel je peux développer des idées musicales. Mais pour me tenir au courant tout au long du processus d’écriture, Anna aime me montrer au fur et à mesure des parties du scénario. Ainsi, il lui arrive de me donner un coup de fil enthousiaste à n’importe quel moment de l’évolution de son propre travail pour m’annoncer qu’elle a terminé une scène ou me faire part de sa dernière idée.
Environ dix jours après qu’Anna a commencé l’écriture de Solar, en avril, nous nous sommes retrouvés pour un petit-déjeuner et Anna m’a lu les scènes 1 et 2. Je ne voulais pas lire les mots sur une page, je préférais entendre Anna les lire à voix haute, sachant qu’elle avait écrit son texte avec un sens incroyable du rythme, des rimes et une force dramatique.
J’ai été stupéfait par la puissance avec laquelle son travail a suscité mon intérêt dès l’entrée en matière. C’était comme entendre le début d’Otello de Verdi pour la première fois. L’opéra de Verdi et Boito s’ouvrait sur une tempête. Anna fait commencer Solar avec Dédale sur une falaise qui tient son neveu Talos, dont il est fou de jalousie, au-dessus du vide. Brillant. Je me souviens l’avoir écouté et avoir immédiatement dit : « Ne change pas un mot ! » Nos discussions sur la pièce qui ont suivi nous ont propulsés tous les deux vers l’étape suivante du processus, et nous débordions d’enthousiasme.
Entendre les paroles d’un texte ou d’un livret permet toujours de déterminer s’ils possèdent ou non une réelle qualité poétique. Anna a une façon unique d’écrire qui laisse au metteur en scène, au chorégraphe et au concepteur un grand espace pour raconter l’histoire à travers leur propre discipline, qui est non verbale. Par-dessus tout, elle fait confiance au pouvoir de la musique pour développer le sens et l’intention qu’elle donne à ses mots. Les rythmes, les sons et l’élan dramatique de son texte sont si captivants pour un chanteur qu’il peut alors les utiliser comme les points de départ de sa performance. L’entendre lire Solar pour la première fois m’a rassuré sur le fait qu’elle avait trouvé une intensité de style qui rendrait ma tâche de compositeur passionnante et stimulante.
Par chance, Anna a pu se libérer de son travail d’avocate tout le mois d’avril pour écrire le scénario. Le délai de livraison était court, il a donc fallu consacrer un mois entier à un travail acharné, dans une immersion totale. Nous souhaitions que je puisse me rendre à Bruxelles à la fin du mois de juin avec du matériel musical pour les deux principaux chœurs (« The Sun » et « The Apprentices »). Dès les deux premières scènes, j’ai été immédiatement convaincu que je serais en mesure d’offrir aux jeunes chanteurs une musique qui capterait leur imagination et qui les inciterait à s’impliquer dans la production.
L’art de la composition et de l’écriture est trop facilement idéalisé – il s’agit en réalité d’un travail acharné, engagé et concentré – et j’ai donc été très impressionné par le fait que Anna, en bonne avocate tenant à cœur le respect des délais, m’a envoyé le livret complet à 17 heures, le dernier jour ouvrable du mois d’avril. Cela m’a rappelé Bach qui devait commencer la composition de sa prochaine cantate un lundi et la livrer pour la représentation du dimanche suivant !
Lorsque je commence à écrire, je demande souvent à Anna de me donner des adjectifs pour décrire les sentiments qu’elle envisage d’intégrer à chaque moment dramatique. Je les griffonne dans les marges de mon scénario pour m’y référer au fur et à mesure. De cette façon, je peux clairement distinguer les moments de « désespoir » ou de « deuil », de « libération » ou de « transformation magique ».
La prochaine fois que Anna entendra ses propres mots, ce sera dans ma version jouée et chantée au piano. On est à des années-lumière d’une lecture par un orchestre professionnel, un grand chœur et des solistes internationaux sur scène, tout comme la lecture d’un livret est très différente de la version finale mise en musique. Et une fois que les mots et la musique sont réunis et couchés sur le papier, nous devons tous deux laisser notre œuvre à l’interprétation de l’équipe de production, en espérant qu’ils l’aient bien comprise.
Recevoir le scénario final a été un moment palpitant. Je l’ai lu et relu de nombreuses fois avant de me sentir prêt à aborder la pièce sur le plan musical. L’atelier de juin approchait à grands pas et un compositeur travaille toujours mieux sous la pression d’une date butoir. Maintenant que j’avais le livret complet, je n’avais plus d’excuse !