Howard Moody 4
Howard Moody – Le journal du compositeur
#4 Écriture de la musique pour le premier atelier du chœur
La première échéance urgente pour Solar était de livrer une partie de la musique du chœur pour le premier atelier qui aurait lieu à la fin du mois de juin. Le Chœur d’enfants de la Monnaie (qui joue le rôle du « Soleil ») et le Chœur de jeunes (qui incarne les « Apprentis ») y participaient.
Le défi consistait à donner à chaque groupe deux refrains, assez contrastés, de l’ouverture de l’opéra pour capter leur imagination et les aider à intérioriser l’histoire par le chant et le mouvement. Les chœurs dramatiques de la première scène, qui encadrent le meurtre de Talos, ont offert un excellent point de départ. Ces éléments ont pu ensuite être mis en contraste avec la transformation magique de Talos en oiseau par le Soleil, puis avec le deuil de sa mort par les Apprentis à la deuxième scène. Ce Lacrimosa m’a donné l’occasion d’écrire de la musique en quatre parties pour le Chœur de jeunes, plus âgé, en profitant au maximum de leur capacité à chanter en harmonie de longues lignes vocales soutenues.
J’avais initialement six semaines pour livrer la partition en vue de cette répétition. Il était important pour moi de pouvoir montrer ma musique à Benoît Giaux avant qu’elle soit imprimée. Notre compréhension mutuelle de ce qui fait qu’un projet fonctionne pour les chœurs qu’il dirige crée un lien spécial. Il m’avait déjà dit exactement quelle gamme correspondait le mieux à chaque groupe, le nombre de répétitions qu’ils seraient susceptibles d’avoir et le nombre de voix impliquées. Il est brillant dans son travail, et précis et exigeant quand il le faut. Il était essentiel pour moi de livrer une partition parfaitement éditée et précise, d’autant plus qu’il est difficile pour les jeunes voix de réapprendre une musique comportant des changements survenus plus tard. Ils apprennent si vite, et à l’oreille, qu’une fois qu’ils ont une mélodie en tête, elle y reste pour toujours ! J’ai réussi à faire parvenir les partitions à Benoît dix jours à l’avance, ce qui lui a permis de travailler un peu sur la musique avant mon arrivée.
Mon rôle de chef d’orchestre et de compositeur m’implique dans deux processus complètement différents. L’aspect le plus important de ces deux rôles est que je dois m’approprier chaque note en tant que compositeur. Si la partition est trop difficile, maladroite ou qu’elle n’est pas naturellement « vocale », je dois affronter cela en répétition, mais aussi en spectacle ! Il m’est arrivé, en tant que chef d’orchestre, de donner une nouvelle pièce à des chanteurs sans avoir conscience de ce qui était possible. Les répétitions deviennent alors misérables (même si, pour finir, cela peut donner un effet inhabituel).
Mais la commande de Solar est une occasion fantastique pour moi d’écrire pour des voix et des groupes que je connais très bien, ayant écrit des opéras précédents pour la Monnaie. L’un des chanteurs avait tenu le rôle principal au début du Brussels Requiem en 2010, d’autres ont chanté tous les autres opéras écrits pour la Monnaie depuis 2014, notamment Sindbad, Orfeo et Majnun et Push. Par conséquent, le jour de l’atelier en juin a été ressenti comme un moment unique, une continuité dans le travail, et il était passionnant de voir les jeunes choristes de la Monnaie intérioriser immédiatement la musique et le drame de la partition que j’avais écrite.
J’espère que mon expérience de ces voix fera de Solar une pièce parfaitement adaptée pour d’autres groupes, ayant une formation similaire, attachés à de grandes maisons d’opéra. Ces voix, qui ont toutes tant de choses à exprimer sur scène – notamment sur les questions environnementales que Solar met en lumière – pourraient donner lieu à un nouveau corpus d’œuvres.
En peu de temps, Karine Girard, la chorégraphe, a créé une atmosphère merveilleuse avec son travail de mouvement. Des cercles et des mouvements diagonaux à haute énergie montrent le soleil brûlant et débordant de rage. En revanche, un mouvement calme mais fort définit le deuil des Apprentis. Tout cela a été facilité par Benoit De Leersnyder, le metteur en scène, qui est passé maître dans l’art d’entraîner tout le monde dans la signification profonde de la métaphore d’un opéra. Nous avions l’équipe rêvée : dynamique, heureuse, concentrée, et sérieuse à la fois.
La journée s’est terminée par la découverte pour les Apprentis du lacrimosa, où ils pleurent la mort de Talos. Ce chant s’est avéré extrêmement beau et touchant, à la suite d’un vrai travail sur le son et l’équilibre. Après l’avoir chanté de mémoire, l’un des jeunes chanteurs m’a demandé comment je l’avais écrit. Ayant entendu ma musique chantée avec un tel engagement, je n’ai pu répondre qu’en toute honnêteté. J’ai admis que quelques taches d’encre sur du papier ne ressemblent pas à grand-chose lorsqu’on vous les donne en tant qu’interprète, mais que se sentir suffisamment sûr de soi pour les livrer, comme compositeur, est le fruit d’un travail extrêmement dur.
J’ai expliqué que j’esquissais d’abord mes idées, parfois pendant plusieurs jours (comme dans les carnets de croquis de Beethoven), mais que les fragments musicaux doivent se former avec une véritable intensité dramatique. Jouer ma propre pièce de théâtre dans ma tête fait partie de l’expérience. Je leur ai ensuite montré comment je construis le refrain sur une basse de fond, chacune des parties vocales construisant leurs mélodies uniques qui se faufilent dans l’harmonie, complètement indépendantes les unes des autres.
Il y a eu de la magie dans l’air lorsque tout le monde a rechanté le morceau. La demande de chanter plus doucement n’était plus une instruction, mais quelque chose que tout le monde pouvait comprendre comme nécessaire pour faire ressortir différentes lignes mélodiques et émotions.
Je suis rentré chez moi en me sentant absolument prêt à terminer toute la musique solo des scènes 1 et 2. Je n’ai pas encore rencontré les formidables solistes, mais je les ai entendus sur des enregistrements et je connais l’univers sonore des chœurs qu’ils rejoindront. L’idée a toujours été de mettre la voix de la nouvelle génération au centre de Solar, et je suis convaincu que leur voix réclamant de toute urgence le changement sera entendue.